Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 14:01
Valéry : Berthe Morisot Pléiade t. p. 2-1303 :     
      « L'homme vit et se meut dans ce qu'il voit ; mais il ne voit que ce qu'il songe. Au milieu d'une campagne, essayez divers personnages. Un philosophe vaguement n'apercevra que phénomènes ; un géologue, des époques cristallisées, mêlées, ruinées, pulvérisées ; un homme de guerre, des occasions et des obstacles ; et ce ne seront pour un paysan que des hectares, des sueurs et des profits... Mais tous, ils auront de commun de ne rien voir qui soit purement vue. Ils ne reçoivent de leurs sensations que l'ébranlement qu'il faut pour passer à tout autres choses, à ce qui les hante. Tous, ils subissent un certain système de couleurs ; mais chacun d'eux sur-le-champ les transforme en signes, qui leur parlent à l'esprit comme feraient les teintes conventionnelles d'une carte. Ces jaunes, ces bleus, ces gris assemblés si bizarrement s'évanouissent dans l'instant même ; le souvenir chasse le présent ; l'utile chasse le réel ; la signification des corps chasse leur forme. Nous ne voyons aussitôt que des espoirs et des regrets, des propriétés et des vertus potentielles, des promesses de vendanges, des symptômes de maturité, des catégories minérales ; nous ne voyons que du futur ou du passé, mais point les taches de l'instant pur. Quoi que ce soit de non-coloré se substitue sans retour à la présence chromatique, comme si la substance du non-artiste absorbait la sensation et ne la rendait jamais plus, l'ayant fuie vers ses conséquences.
     A l'opposite de cette abstraction est l'abstraction de l'artiste. la couleur lui parle couleur, et il répond à la couleur par la couleur. Il vit dans son objet, au milieu même de ce qu'il cherche à saisir, et dans une tentation, un défi, des exemples, des problèmes, une analyse, une ivresse perpétuels. Il ne peut qu'il ne voie ce à quoi il songe, et songe ce qu'il voit. (...) Berthe Morisot vivait dans ses grands yeux dont l'attention extraordinaire à leur fonction, à leur acte continuel lui donnait cet air étranger, séparé, qui séparait d'elle. Etranger, c'est-à-dire étrange ; mais singulièrement étranger, - étranger, éloigné par présence excessive. rien ne donne cet air absent et distinct du monde comme de voir le présent tout pur. Rien, peut-être, de plus abstrait que ce qui est. »
--------------------
Les grands yeux profonds de tante Berthe, par Manet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Edouard_Manet_040.jpg
http://www.repro-tableaux.com/kunst/edouard_manet_739/berthe_morisot_.jpg

Tableaux de Berthe Morisot :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/92/Berthe_Morisot_007.jpg
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Berthe_Morisot_002.jpg
----------------------

Valéry : Poésie perdue p. 105 (1913) :
     « Jeunesse, tu peux écouter la pluie. L'écouter elle-même...
Elle ne te rappelle rien.
Mais puis ! Chaque goutte te rouvre.
Chacune n'est plus un bruit - c'est quelqu'un, une époque, un souci »
Valéry : Mélange 1-312 V :
     « Il y a des arbres, des fleurs, un chien, des chèvres, le soleil, le paysan et moi, et la mer au loin ; et nous tous ensemble convenons que le passé n'existe plus. »

Partager cet article
Repost0
Published by M. Philippon

  • : Le blog de M. Philippon
  • : Blog anciennement destiné aux étudiants de M.P.
  • Contact

Recherche

Pages

Catégories