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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 16:28

Les textes sont présentés par ordre alphabétique d'auteur.

Ce qui concerne les ruines devrait se reconnaître aisément.

 

Alain 20 leçons : "On comprend aisément ce qui fait que les ruines sont belles ; c’est que, tout vain ornement étant alors rabattu, et l’attaque des forces étant marquée par mille cicatrices, néanmoins la masse résiste encore et ne se défait point ; elle s’usera à son poste et grain à grain. C’est pourquoi sans doute l’antiquité est directement vénérable ; elle prouve elle-même sa puissance ; elle atteste une longue lutte contre la nature, et par la nature même".
Alain : Système des Beaux-arts p. 342 : "Ce qui plaît d'abord même dans les ruines, c'est cette puissance de durer, plus sensible encore par les blessures du temps. Nous avons plus d'une raison d'aimer les vieilles choses, mais cette résistance de la forme parle aux yeux déjà ; au lieu qu'un métal mince ou une corniche de plâtre sont des mensonges, que l'on devine d'après la forme des ornements, et dont le temps fait justice, car ces choses font des ruines laides".   + 346 "le temps orne les beaux édifices, en dénudant la forme durable ".  


Balthus : « Je vois les adolescentes comme un symbole. Je ne pourrai jamais peindre une femme. La beauté de l’adolescente est plus intéressante. L’adolescente incarne l’avenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. Une femme a déjà trouvé sa place dans le monde, une adolescente, non. Le corps d’une femme est déjà complet. Le mystère a disparu.»


Balzac illusions p : 437 « A seize ans, Florine était maigre. Sa beauté, comme un bouton de fleur plein de promesses, ne pouvait plaire qu'aux artistes qui préfèrent les esquisses aux tableaux. »
Balzac Illusions perdues 390 « ses amis lui ont vu détruire un tableau achevé auquel il trouvait l'air trop peigné. "C'est trop fait, disait-il, c'est trop écolier." »
Balzac : Gambara GF : p.116 : "Souvent la perfection dans les oeuvres d'art empêche l'âme de les agrandir. N'est-ce pas le procès gagné par l'esquisse contre le tableau fini, au tribunal de ceux qui achèvent l'oeuvre par la pensée, au lieu de l'accepter toute faite ?"
Balzac : Cousine Bette CII : "Elle offrait la suave majesté des ruines"
Balzac : Cousine Bette LIV "... [les] choses faites, qui plaisent assez aux bourgeois pour être achetées"


Batteux : ...  c’est pour atteindre à cette liberté que les grands peintres laissent quelquefois jouer leur pinceau sur la toile : tantôt, c’est une symétrie rompue ; tantôt, un désordre affecté dans quelque petite partie ; ici, c’est un ornement négligé ; là, un défaut même, laissé à dessein : c’est la loi de l’imitation qui le veut : à ces petits défauts marqués dans la peinture, l’esprit avec plaisir reconnoît la nature. [...]  les arts [affectent] des négligences pour paroître plus naturels et plus vrais. "


Baudelaire : Une Charogne : « Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, / Une ébauche lente à venir / Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève / Seulement par le souvenir. »
Baudelaire 1-1007 : M. Guys commence par de légères indications au crayon, qui ne marquent guère que la place que les objets doivent tenir dans l’espace. Les plans principaux sont indiqués ensuite par des teintes au lavis, des masses vaguement, légèrement colorées d’abord, mais reprises plus tard et chargées successivement de couleurs plus intenses. Au dernier moment, le contour des objets est définitivement cerné par de l’encre. À moins de les avoir vus, on ne se douterait pas des effets surprenants qu’il peut obtenir par cette méthode si simple et presque élémentaire. Elle a cet incomparable avantage, qu’à n’importe quel point de son progrès, chaque dessin a l’air suffisamment fini ; vous nommerez cela une ébauche si vous voulez, mais ébauche parfaite.
Baudelaire : Salon de 1845 : Corot : « une oeuvre de génie - ou si l'on veut - une oeuvre d'âme - où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé - est toujours très bien exécutée, quand elle l'est suffisamment - Ensuite - qu'il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini - qu'en général ce qui est fait n'est pas fini, et qu'une chose très finie peut n'être pas faite du tout - que la valeur d'une touche spirituelle, importante et bien placée est énorme. »


Bernardin de Saint-Pierre : Etudes de la Nature n° 12 p. 411 : "le goût de la ruine est universel à tous les hommes"


Bourdelle : "Le temps dit injurieux avait été un collaborateur supérieur"


Camus : Noces (Folio p. 13) : « Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de sciences ramènent à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin, leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent. »


Caylus (Anne-Claude-Philippe de Tubières de Grimoard de Pestels de Lévis de Caylus, marquis d'Esternay, baron de Branzac) :  Discours sur les Desseins [sic]
Quoy de plus agréable, en effet, que de suivre un artiste du premier ordre, dans le besoin qu'il a eu de produire, ou dans la première idée dont il a été frappé, pour une machine dont on peut comparer l'exécution ; d'approfondir les différens changemens que ses réflexions luy ont fait faire, avant que d'avoir arresté son ouvrage ; de chercher à s'en rendre compte ; de se voir enfin avec luy dans son propre cabinet, et de pouvoir se former le goust, en examinant les raisons qui l'ont engagé à faire des changemens. Après avoir examiné ces premières pensées, avec quel plaisir ne voit-on pas les études correctes faites d'après la Naturev? Le Nud d'une figure drapée ? Le détail de cette même draperie ? enfin toutes les parties qui ont servy à la perfection du tableau ou de la machine que l'Univers admire. Il me paroît encore que les grands Artistes nous font éprouver des impressions semblables à celles qu'ils ont eux-mêmes ressenti [sic] ; la Poésie nous échauffe dans leurs premières conceptions, la Sagesse et la Vérité nous frappent dans les choses arrestées.
Il me semble qu'un simple trait déterminant souvent une passion, et prouvant combien l'esprit de l'auteur ressentoit alors la force et la vérité de l'expression ; l'œil curieux et l'imagination animée se plaisent et sort flattés d'achever ce qui souvent n'est qu'ébauché. La différence qui se trouve selon moy, entre un beau dessein et un beau tableau, c'est que dans l'un on peut lire, à proportion de ses forces, tout ce que le grand Peintre a voulu représenter, et que dans l'autre on termine soy-même l'objet qui vous est offert ; par conséquent on est souvent plus piqué de la vue de l'un que de celle de l'autre : car il faut toujours chercher dans l'amour-propre les raisons du contentement, et celles de la préférence que les hommes accordent à une chose. Le seul inconvénient qui se trouve dans celte séduisante partie de l'art que vous pratiquez, Messieurs, c'est la façon dont plusieurs Peintres se sont laissés emporter par le plaisir de dessiner, ils ont négligé la Peinture pour s'attacher uniquement au dessein. Ils se sont absolument livrés au charme flatteur de jeter promptement leurs idées sur le papier, aussi bien qu'à celuy d'imiter la nature dans les Paysages, et dans les autres beautés dont elle sçait si bien piquer le goust de ses adorateurs.
Quelque bien qu'ayent dessiné ceux que je viens de citer, il en faut convenir, c'est toujours une espèce de libertinage que l'on doit blâmer ; c'est un inconvénient dans lequel il faut toujours empescher la jeunesse de tomber, avec d'autant plus de sévérité, que cette opération paresseuse augmente chaque jour l'éIoignement que l'on prend pour la Peinture.
Céline, à son illustrateur, cité dans bio de H. Godard p. 471 : "un dessin plus flou, plus léger si vous voulez bien, toujours laisser passer le rêve en la nénette du client"


Cézanne :  « Le fini fait l'admiration des imbéciles. »


Clair (Jean) : Lait noir de l'aube p. 124 : "Dessiner, c'est marquer la frontière, c'est insister sur notre essence, c'est délimiter cette petite portion d'espace et de temps par laquelle nous existons aux yeux des autres. C'est défendre son intégrité, son unité biologique et spirituelle. "Je" est ici, parmi ces lignes, et je m'y tiens."


Chateaubriand : MOT 1 LP p. 570 : "On m'avait recommandé de me promener au clair de la lune : du haut de la Trinité-du-Mont, les édifices lointains paraissaient comme les ébauches d'un peintre ou comme des côtes effumées vues de la mer, du bord d'un vaisseau"


 Claudel à Barrault : "...(objets sur scène)  en les réduisant par l'ébauche à un caractère brutalement général. C'est ainsi que pour nous, hommes de théâtre, les croquis des artistes sont beaucoup plus intéressants que leur réalisation poussée. "
Claudel à propos des Liseuses de Fragonard (cité par Staro. Inv. Lib pp. 113-5) : « L'attention de la pensive qui ne nous livre qu'un profil effacé est tout entière, là-bas, par-derrière, adhérente au site imaginaire qu'elle hésite à joindre ou à quitter. Accoudée et comme pendante au balustre d'un invisible bassin [...]. Et la sonorité d'une phrase non prononcée emplit toute la scène.»


Corot : - Pourquoi ne finissez-vous pas vos tableaux ? - Eh Monsieur, que faites-vous de l'infini ?


David d'Angers : "Assurément dans un objet d'art il ne faut pas tout dire, car on aurait l'air de prendre le spectateur pour un être qui a besoin qu'on lui dise tout. Le génie c'est de le mettre sur la voie, afin qu'il croie avoir trouvé de lui-même. C'est là la musique de la forme."


Delacroix : Journal : Je me suis mis, après mon déjeuner, à reprendre le Christ au tombeau : c'est la troisième séance d'ébauche ; et, dans ma journée malgré un peu de malaise, je l'ai remonté vigoureusement et mis en état d'attendre une quatrième reprise. Je suis satisfait de cette ébauche, mais comment conserver, en ajoutant des détails, cette impression d'ensemble qui résulte de masses très simples ? La plupart des peintres, et j'ai fait ainsi autrefois, commencent par les détails et donnent l'effet à la fin. Quel que soit le chagrin que l'on éprouve à voir l'impression de simplicité d'une belle ébauche disparaître à mesure qu'on y ajoute des détails, il reste encore beaucoup plus de cette impression que vous ne parviendriez à en mettre quand vous avez procédé d'une façon inverse. (...) Un des grands avantages de l'ébauche, par le ton et l'effet, sans s'inquiéter des détails, c'est qu'on est forcement amené à ne mettre que ceux qui sont absolument nécessaires. Commençant ici par finir les fonds, je les ai faits les plus simples possible, pour ne pas paraître surchargés, à côté des masses simples que présentent encore les figures. Réciproquement, quand j'achèverai les figures, la simplicité des fonds me permettra, me forcera même de n'y mettre que ce qu'il faut absolument. Ce serait bien Ie cas, une fois l'ébauche amenée à ce point, de faire autant que possible chaque morceau, en s'abstenant d'avancer Ie tableau en entier : je suppose toujours que l'effet et Ie ton sont trouvés partout. Je dis donc que la figure que l'on s'attacherait à finir parmi toute les autres qui ne sont que massées, conserverait forcément de la simplicité dans les détails, pour ne pas la faire trop jurer avec ses voisines qui ne seraient qu'à l'ébauche. II est évident que si, Ie tableau arrive par l'ébauche à un état satisfaisant pour l'esprit, comme lignes, couleur et effet, on continue à travailler jusqu'au bout dans Ie même sens, c'est-à-dire en ébauchant toujours en quelque sorte, on perd en grande partie Ie bénéfice de cette grande simplicité d'impression qu'on a trouvée dans Ie principe. L'œil s'accoutume aux détails qui se sont introduits de proche en proche dans chacune des figures et dans toutes en même temps ; Ie tableau ne semble jamais fini. Premier inconvénient : les détails étouffent les masses ; deuxième inconvénient : Ie travail devient beaucoup plus long.
Delacroix Journal 25 jan 1857 Plon p. 624 « Effet sur l'imagination. [...] Byron dit que les poésies de Campbell sentent trop le travail... tout le brillant du premier jet est perdu. Il en est de même des poèmes comme des tableaux, ils ne doivent pas être trop finis. Le grand art est l'effet, n'importe comment on le produit. »
Delacroix : Journal 18 juillet 1850 éd. Plon p. 252-253 : « "Dans la peinture et surtout dans le portrait, dit madame Cavé dans son traité, c'est l'esprit qui parle à l'esprit et non la science qui parle à la science." Cette observation, plus profonde qu'elle ne l'a peut-être cru elle-même, est le procès fait à la pédanterie de l'exécution. Je me suis dit cent fois que la peinture, c'est-à-dire la peinture matérielle, n'était que le prétexte, que le pont entre l'esprit du peintre et celui du spectateur. La froide exactitude n'est pas l'art ; l'ingénieux artifice, quand il plaît ou qu'il exprime, est l'art tout entier. La prétendue conscience de la plupart des peintres n'est que la perfection apportée à l'art d'ennuyer (...) Il serait curieux de faire un traité de toutes les faussetés qui peuvent composer le vrai. » (idem le 25 janvier 1857 p. 625).
Delacroix J 330 : "l'ébauche d'un ouvrage ne plaît tant que parce que chacun l'achève à son gré" ;  J 341 "L'ébauche [...] doit agir davantage sur l'âme, à raison de ce que celle-ci y ajoute"


Descartes : Dioptrique, fin chap. IV : « [...] Il n’y a [dans notre cerveau] aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles représentent : car autrement il n’y aurait point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent même, que leur perfection dépend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n’étant faites que d’un peu d’encre posée çà et là sur du papier, nous représentent des forêts, des villes, des hommes, et même des batailles et des tempêtes, bien que, d’une infinité de diverses qualités qu’elles nous font concevoir en ces objets, il n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous représentent des corps diversement relevés et enfoncés, et que même, suivant les règles de la perspective, souvent elles représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles ; et des carrés par des losanges que par d’autres carrés ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour être plus parfaites en qualité d’images, et représenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler. »


Dezallier d'Argenville : (1762) « Un artiste en peignant un tableau se corrige et réprime la fougue de son génie ; en faisant un dessein (sic) , il jette le premier feu de sa pensée, il s'abandonne à lui-même ; il se montre tel qu'il est. » (LXII-III)


Diderot : Salon de 1767 OC CFL t. 7 p. 284-6 : « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu'un tableau ? c'est qu'il y a plus de vie, et moins de formes. A mesure qu'on introduit les formes, la vie disparaît. Dans l'animal mort, objet hideux à la vue, les formes y sont, la vie n'y est plus. Dans les jeunes oiseaux, les petits chats, plusieurs autres animaux, les formes sont encore enveloppées, et il y a tout plein de vie, aussi nous plaisent-ils beaucoup. Pourquoi un jeune élève, incapable de faire même un tableau médiocre, fait-il une esquisse merveilleuse ? C'est que l'esquisse est l'ouvrage de la chaleur et du génie ; et le tableau l'ouvrage du travail, de la patience, des longues études, et d'une expérience consommée de l'art. Qui est-ce qui sait, ce que nature même semble ignorer, introduire les formes de l'âge avancé ; et conserver la vie de la jeunesse ? [............ censuré .............] L'esquisse ne nous attache peut-être si fort que parce qu'étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination, qui y voit tout ce qui lui plaît. C'est l'histoire des enfant qui regardent les nuées, et nous le sommes tous plus ou moins. C'est le cas de la musique vocale et de la musique instrumentale. Nous entendons ce que dit celle-là, nous faisons dire à celle-ci ce que nous voulons. [...] Voici, mon ami, des esquisses de tableaux et des esquisses de descriptions."
Diderot : Salon de 1767 OC CFL t. 7 p. 365-366 : Si cette esquisse m'appartenait, je ne permettrais jamais à l'artiste de l'achever. [...] Ce n'est rien, et c'est beaucoup. comme de toutes les esquisses. [...] Une mauvaise esquisse n'engendra jamais qu'un mauvais tableau ; une bonne esquisse n'en engendra pas toujours un bon. Une bonne esquisse peut être la production d'un jeune homme, plein de verve et de feu, que rien ne captive, qui s'abandonne à sa fougue. Un bon tableau n'est jamais que l'ouvrage d'un maître qui a beaucoup réfléchi, médité, travaillé. C'est le génie qui fait la belle esquisse et le génie ne se donne pas. C'est le temps, la patience et le travail qui donnent le beau faire, et le faire peut s'acquérir.
Diderot : Salon de 1765 CFL 6-142-3, "La mère bien-aimée” Greuze : « Les esquisses ont communément un feu que le tableau n’a pas. C’est le moment de chaleur de l’artiste, la verve pure, sans aucun mélange de l’apprêt que la réflexion met à tout ; c’est l’âme du peintre qui se répand librement sur la toile. La plume du poète, le crayon du dessinateur habile, ont l’air de courir et de se jouer. La pensée rapide caractérise d’un trait. Or plus l’expression des arts est vague, plus l’imagination est à l’aise. Il faut entendre dans la musique vocale ce qu’elle exprime. Je fais dire à une symphonie bien faite, presque ce qui me plaît ; et comme je sais mieux que personne la manière de m'affecter, par l'expérience que j'ai de mon propre coeur, il est rare que l'expression que je donne aux sons, analogue à ma situation actuelle, sérieuse, tendre ou gaie, ne me touche plus qu'une autre qui serait à mon choix. Il en est à peu près de même de l'esquisse et du tableau. Je vois dans le tableau une chose prononcée ; combien dans l'esquisse y supposé-je de choses qui y sont à peine annoncées. »
Diderot OC t. 5 p. 293 sur Bouchardon : « Il s’applique ; il dispute le prix de l’Académie; il l’emporte, et il est envoyé à Rome. Quand on a du génie, c’est là qu’on le sent. Il s’éveille au milieu des ruines. Je crois que de grandes ruines doivent plus frapper que ne feraient des monuments entiers et conservés. Les ruines sont loin des villes; elles menacent, et la main du temps a semé parmi la mousse qui les couvre une foule de grandes idées et de sentiments mélancoliques et doux. J’admire l’édifice entier; la ruine me fait frissonner; mon coeur est ému, mon imagination a plus de jeu. C’est comme la statue que la main défaillante de l’artiste a laissée imparfaite; que n’y vois-je pas? Je reviens sur les peuples qui ont produit ces merveilles et qui ne sont plus"
Diderot  : Salon de 1767 OC7-116 : "O mon ami, la plate chose que des vers bien faits ! la plate chose que de la musique bien faite ! la plate chose qu'un morceau de peinture bien fait, bien peint !"
Diderot  : Salon de 1767 OC7-293-4 : " Au sortir des esquisses de Robert, encore un petit mot sur les esquisses. Quatre lignes perpendiculaires, et voilà quatre belles colonnes, et de la plus magnifique proportion. Un triangle joignant le sommet de ces colonnes, et voilà un beau fronton ; et le tout est un morceau d'architecture élégant et noble ; les  vraies proportions sont données, l'imagination fait le reste. Deux traits informes élancés en avant, et voilà deux bras ; deux  autres traits informes, et voilà deux jambes ; deux endroits pochés au dedans d'un ovale, et voilà deux yeux ; un ovale mal terminé, et voilà une tête ; et voilà une figure qui s'agite, qui  court, qui regarde, qui crie. Le mouvement, l'action, la  passion même sont indiqués par quelques traits caractéristiques,  et mon imagination fait le reste. Je suis inspiré par le souffle divin de l'artiste. Agnosco veteris vestigia flammae*. C'est un mot qui réveille en moi une grande pensée. Dans les transports violents de la passion, l'homme supprime les liaisons, commence une phrase sans la finir, laisse échapper un mot, pousse un cri, et se tait. Cependant j'ai tout entendu. C'est l'esquisse d'un discours. La passion ne fait que des esquisses. Que fait donc un poète qui finit tout ? Il tourne le dos à la nature....       * Vigile Enéide IV, 23.  je retrouve la flamme ancienne
Diderot  : Salon de 1767 OC7-311 : (il faut savoir) "conserver son esquisse" (= conserver la jeunesse dans l’âge mûr)
Diderot  : Salon de 1767  365-366 : Si cette esquisse m'appartenait, je ne permettrais jamais à l'artiste de l'achever. [...]  Ce n'est rien, et c'est beaucoup, comme de toutes les esquisses. [...] Une mauvaise esquisse n'engendra jamais qu'un mauvais tableau ; une bonne esquisse n'en engendra pas toujours un bon. Une bonne esquisse peut être la production d'un jeune homme, plein de verve et de feu, que rien ne captive, qui s'abandonne à sa fougue. Un bon tableau n'est jamais que l'ouvrage d'un maître qui a beaucoup réfléchi, médité, travaillé. C'est le génie qui fait la belle esquisse et le génie ne se donne pas. C'est le temps, la patience et le travail qui donnent le beau faire, et le faire peut s'acquérir. »
Diderot, sur H. Robert, Salon de 1767, DD7-267 : « L'effet de ces compositions, bonnes ou mauvaises, c'est de vous laisser dans une douce mélancolie. Nous attachons nos regards sur les débris d'un arc de triomphe, d'un portique, d'une pyramide, d'un temple, d'un palais; et nous revenons sur nous-mêmes; nous anticipons sur les ravages du temps ; et notre imagination disperse sur la terre les édifices mêmes que nous habitons. A l'instant la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une nation qui n'est plus. Et voilà la première ligne de la poétique des ruines. » 268 : « Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s'anéantit, tout périt, tout passe. Il n'y a que le monde qui reste. Il n'y a que le temps qui dure. Qu'il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m'entourent m'annoncent une fin, et me résignent à celle qui m'attend. Qu'est-ce que mon existence éphémère, en comparaison de celle de ce rocher qui s'affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancèle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête, et qui s'ébranlent? Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière ; et je ne veux pas mourir ! et j'envie un faible tissu de fibres et de chair, à une loi générale qui s'exécute sur le bronze ! Un torrent entraîne les nations les unes sur les autres, au fond d'un abîme commun ; moi, moi seul, je prétends m'arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés ! »
Diderot : (article sur D, Par Françoise Escal, 2005) pp. 172-3   Le 6 septembre 1768, Diderot écrivait à Falconet : "La terre cuite est l'affaire du génie, le marbre n'est que la fin de l'ouvrage". De la même manière, les esquisses des peintres s'exposent, elles sont montrées au public. Elles sont admises aux Salons, elles y sont très présentes à partir des années 1760. Elles se vendent aussi aux collectionneurs. A la fin du siècle, de grands collectionneurs comme Conti et Vaudreuil les acceptent dans leurs collections. Certes, cet art de la touche a aussi ses détracteurs, il apparaît à certains comme la preuve de l'incapacité à produire une œuvre aboutie. Les peintres accusés, dit-on, ne savent pas dessiner, et parmi ces peintres se trouve Fragonard : en 1773, un anonyme, que l'on identifie avec le peintre Renou, tourne en ridicule son art, le "nec plus ultra, pour le heurté, le roullé (sic), le bien fouetté, le tarentulisme." En novembre 1762 paraissait dans Le Mercure de France un article dû sans doute au peintre genevois Jean-Etienne Liotard dans lequel l'auteur moquait la touche laissée visible comme "manière de peindre laide et grossière, vantée par l'impatience, la paresse, l'intérêt et l'ignorance." Dans son Traité des règles de la Peinture, il affirmait que "les qualités les plus agréables et les plus essentielles dans la peinture sont la netteté, la propreté et l'uni." Mais peu à peu l'intérêt pour l'esquisse gagne, même si Diderot, lui-même collectionneur d'esquisses, tout en désignant son public, marque les limites de cet horizon d'attente : "Le mérite d'une esquisse, d'une étude, d'une ébauche, ne peut être senti que par ceux qui ont un tact très délicat, très délié, soit naturel, soit développé et perfectionné par la vue habituelle de différentes images du beau en ce genre, ou par les gens mêmes de l'art." Toujours est-il que l'expert de la vente Varanche de Saint-Geniès en 1777 note à propos des esquisses : "Si les tableaux soigneusement finis plaisent plus vulgairement, il est une certaine classe d'amateurs qui jouissent suprêmement sur un seul croquis ; ils recherchent l'âme et les pensées de l'homme de génie, qu'ils savent voir et reconnaître."


Dubuffet, entretien radio 1954 : "... au sujet du caractère sommaire de mes travaux, qui s'apparentent aux dessins d'enfant. Les dessins d'enfant sont en général faits hâtivement et avec des moyens très sommaires. Il est exact que j'ai un goût pour les façons de s'exprimer très sommaires ; et ce goût je crois qu'il vient d'une impression que j'ai, que si on fait un visage trop complètement, on empêche l'imagination du spectateur de fonctionner ; si on fait un tableau où tous les éléments sont détaillés, le spectateur de ce tableau a son horizon bouché ; son mécanisme imaginatif ne fonctionne pas. Au lieu que si on lui donne quelque chose d'un peu sommaire, il se produit un mécanisme psychologique chez lui qui entraîne son imagination à fonctionner, à suppléer aux choses qui n'existent pas sur le tableau, à le rajouter."


Exposition Strasbourg 2003-4 (notice internet) http://www.latribunedelart.com/Expositions%20-%20Apotheose%20du%20geste.htm       « La liberté inhérente [à l’esquisse] a contaminé la touche de certaines oeuvres achevées. Avec Fragonard l’ " esthétique de la touche " gagne les oeuvres achevées, en en faisant un précurseur de l’Impressionnisme. [...] Participant de l’esthétique de l’inachevé, l’esquisse confère à l’artiste un grand pouvoir de suggestion, tout en montrant sa virtuosité ; elle permet également au spectateur de voir ce qu’il veut bien y trouver. En somme, l’esquisse ne s’achève que dans l’esprit du spectateur ».


Félibien (André) : Entretiens... 1685 :  Rembrandt : "Tous ses tableaux sont pleins d'une manière très particulière, et bien différente de celle qui paraît si léchée, dans laquelle tombent d'ordinaire les peintres flamands. Car souvent il ne faisait que donner des coups de pinceau, et coucher ses couleurs fort épaisses, les unes auprès des autres, sans les noyer et les adoucir ensemble. Cependant, comme les goûts sont différents, plusieurs personnes ont fait cas de ses ouvrages. Il est vrai aussi qu'il y a beaucoup d'art, et qu'il a fait de fort belles têtes. Quoique toutes n'aient pas les grâces du pinceau, elles ont beaucoup de force ; et lorsqu'on les regarde d'une distance proportionnée, elles font un très bon effet, et paraissent avec beaucoup de rondeur.  [...] Il n'y a pas longtemps qu'on m'en fit voir une, où toutes les teintes sont séparées, et les coups de pinceau marqués d'une épaisseur de couleurs si extraordinaire qu'un visage paraît avoir quelque chose d'affreux, lorsqu'on le regarde un peu de près. Cependant, comme les yeux n'ont pas besoin d'une grande distance pour embrasser un simple portrait, je ne vois pas qu'ils puissent être satisfaits, en voyant des tableaux si peu finis.  [...] Il a si bien placé les teintes et les demi-teintes les unes auprès des autres, et si bien entendu les lumières et les ombres, que ce qu'il a peint, d'une manière grossière, et qui même ne semble souvent qu'ébauché, ne laisse pas de réussir lors [...] qu'on n'en est pas trop près. Car, par l'éloignement, les coups de pinceau fortement donnés, et cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuent à la vue, et, se noyant et se mêlant ensemble, font l'effet qu'on souhaite.
La distance qu'on demande pour bien voir un tableau n'est pas seulement afin que les yeux aient plus d'espace et plus de commodité pour embrasser les objets, et pour les mieux voir ensemble : c'est encore afin qu'il se trouve davantage d'air entre l'œil et l'objet.
[...] Quelque soin qu'on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties étant composées d'une infinité de différentes teintes, qui demeurent toujours en quelque façon distinctes et séparées, ces teintes n'ont garde d'être mêlées ensemble, de la même sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vrai que quand un tableau est peint dans la dernière perfection, il peut être considéré dans une moindre distance ; et il a cet avantage de paraître avec plus de force et de rondeur, comme font ceux du Corrège. [...] La grande union et le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force et de vérité, et [...] aussi plus ou moins de distance contribue infiniment à cette union.


Genet (s dessins Giacometti) : ”Les traits ne sont là qu’afin de donner forme et solidité aux blancs. Qu’on regarde bien ce n’est pas le trait qui est élégant, c’est l’espace blanc contenu par lui. Ce n’est pas le trait qui est plein, c’est le blanc.” (Le blanc) "sans ses traits, n'eût jamais existé."


Goetz Ingres-collages p 79 : « Un esprit de 1777* pouvait écrire : 'si les tableaux soigneusement finis plaisent plus vulgairement, il est une certaine classe d'amateurs qui jouissent suprêmement sur un seul croquis ; ils recherchent l'âme et les pensées de l'homme de génie, qu'ils savent voir et reconnaître’ ".     *l'expert de la vente Varanche de Saint-Génies en 1777


Guitry (En Verve p. 46) : "Un croquis, ce n'est pas le début d'un chef d'œuvre à venir ; ce n'en est pas la fin ; c'en est l'essentiel"


Hoffmann LP p. 17 s Callot, début  : "Pourquoi, maître hardi, ne puis-je me rassasier de la vue de tes gravures fantastiques ? Pourquoi tous ces personnages, souvent suggérés par un ou deux traits audacieux, ne quittent-ils plus ma mémoire ?"  etc.


Hugo Choses vues 256 : "Quand nous commençons un tableau, me disait l'autre jour M. Granet, nous sommes riches ; l'inspiration rayonne en nous ; nous croyons avoir cent mille francs à dépenser. Hélas ! le tableau fini, il se trouve souvent que nous n'avons dépensé qu'un petit écu."
Hugo : "Hélas ! d'un beau palais le débris est plus beau" (Voix intérieures)


Huysmans En Ménage (1881) chap. IX : « [...] et elle ajouta, contemplant les aquarelles impressionnistes qu’elle n’avait jamais vues : tiens, voici du nouveau ; c’est joli, mais pourquoi donc que ce n’est pas terminé ? »
Huysmans A Rebours ch. XIV : «... pour l'attirer, une oeuvre devait revêtir ce caractère d'étrangeté que réclamait Edgar Poe, mais il s'aventurait volontiers plus loin, sur cette route et appelait des flores byzantines de cervelle et des déliquescences compliquées de langue ; il souhaitait une indécision troublante sur laquelle il pût rêver, jusqu'à ce qu'il la fît, à sa volonté, plus vague ou plus ferme selon l'état momentané de son âme. Il voulait, en somme, une oeuvre d'art et pour ce qu'elle était par elle−même et pour ce qu'elle pouvait permettre de lui prêter... »
Huysmans Ecrits sur l'art 155 : « Manet, luttant contre la fraîcheur de ses esquisses, qu'il gâtait en les travaillant. »


Lamartine, Le Lézard sur les ruines de Rome, in Médit. poét. inédites, XIII  (1846)
Un jour, seul dans le Colisée,
Ruine de l’orgueil romain,
Sur l’herbe de sang arrosée
Je m’assis, Tacite à la main.

Je lisais les crimes de Rome,
Et l’empire à l’encan vendu,
Et, pour élever un seul homme,
L’univers si bas descendu.

Je voyais la plèbe idolâtre,
Saluant les triomphateurs,
Baigner ses yeux sur le théâtre
Dans le sang des gladiateurs.

Sur la muraille qui l’incruste,
Je recomposais lentement
Les lettres du nom de l’Auguste
Qui dédia le monument.

J’en épelais le premier signe:
Mais, déconcertant mes regards,
Un lézard dormait sur la ligne
Où brillait le nom des Césars.

Seul héritier des sept collines,
Seul habitant de ces débris,
Il remplaçait sous ces ruines
Le grand flot des peuples taris.

Sorti des fentes des murailles,
Il venait, de froid engourdi,
Réchauffer ses vertes écailles
Au contact du bronze attiédi.

Consul, César, maître du monde,
Pontife, Auguste, égal aux dieux,
L’ombre de ce reptile immonde
Éclipsait ta gloire à mes yeux!

La nature a son ironie
Le livre échappa de ma main.
Ô Tacite, tout ton génie
Raille moins fort l’orgueil humain!

Lilar :  Journal de l’analogiste, au sujet de la Villa d’Este (réf. à vérifier) : «  Aucun endroit ne se prête à méditer sur l’étrange attrait des métamorphoses comme ce séjour lentement gagné par l’assoupissement végétal. Sous le travail opiniâtre de centaines de fontaines et sous l’assaut des mousses, tout s’y défait, s’y désagrège, s’y résorbe. Au hasard des allées, seules entretenues, on rencontre les marbres les plus nobles, minés, érodés, verdis. […] Où finit le marbre, où commence le sournois cancer végétal, on ne sait plus. Où l’invention du Bernin, où les retouches insidieuses de la nature ? Une statue intacte, préservée, peut-être belle, laisse curieusement indifférent. Pourquoi ? Serait-ce que la beauté fascine moins que la désagrégation de la beauté ? Et nous deviendrait-elle précieuse dans la mesure où nous la savons périssable. »


Mallarmé sur Manet : « Je signalais une réserve [...] ; elle consiste, si l'on veut, en ceci que, pour parler argot "le tableau n'est pas assez poussé" ou fini. Il y a longtemps que l'existence de cette plaisanterie me semble révoquée en doute par ceux qui la proférèrent d'abord. Qu'est-ce qu'un œuvre "pas assez poussée" alors qu'il y a entre tous ces éléments un accord par quoi elle se tient et possède un charme facile à rompre par une touche ajoutée ? Je pourrais, désireux de me montrer explicite, faire observer que, du reste, cette mesure, appliquée à la valeur d'un tableau, sans étude préalable de la dose d'impressions qu'il comporte, devrait, logiquement, atteindre l'excès dans le fini comme dans le lâché : tandis que, par une inconséquence singulière, on ne voit jamais l'humeur des juges sévir contre une toile, insignifiante et à la fois minutieuse jusqu'à l'effroi. »


Melville : MB § 32 : "Je laisse la construction de mon système cétologique inachevée, comme inachevée a été laissée la cathédrale de Cologne .. esquisse d'une esquisse"


Monet : "celui qui dit avoir fini une toile est un terrible orgueilleux. Finir voulant dire complet, parfait, et je travaille à force sans avancer, cherchant, tâtonnant, sans aboutir à grand chose..."


Morand : L'Homme pressé p. 27 : « Rien de ce que les siècles ont ajouté au premier établissement, conçu bas, compact, parfait, comme un galet, n'a tenu contre les éléments. Au contraire, tout ce qui date de dix siècles paraît neuf. »


Morizot Jacques (§ web s. Illusion) : Lorsqu’on évoque l’illusion dans le domaine iconique, on renvoie en effet à deux contextes à la fois très proches et très éloignés et qui font des usages opposés de la notion : leurs formes pures seraient d’un côté le trompe-l’oeil et de l’autre la suggestion à peine ébauchée de quelque chose. Tous deux invalident la définition objectiviste naïve de la ressemblance conçue comme une correspondance réglée entre une image et autre chose, quoique de manière symétrique : la première en en faisant le moyen hypnotique d’un simulacre qui tire l’art vers une duplication factice, la seconde en mettant résolument l’accent sur la fécondité de l’écart et même de la distorsion. En dépit de la séduction irrésistible d’une image qui entend rivaliser avec le réel, je m’attacherai d’abord au pouvoir de la fiction en apparence la moins sophistiquée. Qu’on pense par exemple à une aquarelle de Chu Ta où quelques traits d’encre noire ont la capacité d’évoquer la délicatesse fragile d’un rameau de prunus ou le mouvement insaisissable d’un poisson qui nage. Comme on l’a souvent remarqué, ici la sensation de la contingence et de l’éphémérité rejoint des symboles d’éternité. Mais ce qui importe pour notre sujet est que l’image n’ait rien de l’empreinte d’une réalité pré-donnée, la seconde occurrence d’un objet dont il suffirait de décalquer la trace ou les nervures. C’est à l’inverse la forme balbutiante dans l’encre qui se projette dans une réalité qui en devient du même coup identifiable. N’est-ce pas de cette puissance anticipatrice que Descartes s’est avisé lorsqu’il remarque « qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles représentent » ? On pourrait certes lire cette phrase dans le sens d’une déficience ntologique de l’image et Descartes retrouve d’ailleurs des accents proches de Cratyle 432, lorsqu’il ajoute : « car autrement il n’y aurait point de distinction entre l’objet et son image ».iv Mais ce serait passer à côté de ce qui constitue le noyau de l’argumentation cartésienne au sujet des images, à savoir « qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent même, que leur perfection dépend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourraient faire. » (id.)
Morizot Jacques : Il devient alors tentant de penser que les artistes –Hals, Rembrandt ou Manet – laissent volontairement indéterminés certains éléments dans leurs tableaux et comptent sur la collaboration visuelle du spectateur pour achever leur oeuvre. Le résultat est qu’il est difficile d’opposer sans plus illusionnisme et style conceptuel, puisque ce qui se passe en réalité est mieux décrit comme une migration de l’image conceptuelle du niveau mental vers un niveau perceptif où le rôle du spectateur passe au premier plan. L’art devient une école de vision, un espace interactif dans lequel création et réception deviennent indissociables.


Nabokov : Autres Rivages, Folio p. 127 : « Seul le blanc, ce grand flandrin d'albinos dans le monde des crayons, avait gardé sa longueur première ou du moins il la garda jusqu’au moment où je découvris que, loin d'être un imposteur ne laissant aucune trace sur la page, il était l'instrument idéal, puisque je pouvais m'imaginer dessiner tout ce que je voulais cependant que je gribouillais. »


Piles (de) (1702) : « Les dessins touchés et peu finis ont plus d'esprit et plaisent beaucoup davantage que s'ils étaient plus achevés. »


Poussin (exposition 1994) : « Jusqu'à ce que la maladie empêche ses mains tremblantes de tenir un pinceau. Sa dernière œuvre, «Apollon amoureux de Daphné» est sûrement l'une des plus émouvantes de l'histoire de l'art. Inachevée, car la mort le rattrape. Poussin y décrit l'infortune d'Apollon, dieu de la fertilité et de la vie, qui n'atteint jamais l'objet de son désir, séparé de sa belle nymphe par toute la largeur du tableau. Les traits sont à peine indiqués, les corps ébauchés, le fond est presque flou, mais Corot et Cézanne sont déjà là. »


Renard : Journal du 9 juillet 1900 : « Aux Indes Néerlandaises, nous voyons de petites sculptures puériles pour lesquelles Rodin a une grande admiration. (...) Je crois que, si elles n'avaient pas presque toutes le nez cassé... »


Rilke : Lettre à Clara Rilke, 2 septembre 1902, Seuil p. 23 : « D'immenses vitrines, pleines d'admirables fragments de La Porte de l'Enfer. Cela défie la description. Rien que des fragments, côte à côte, sur des mètres. Des nus de la grandeur de ma main, d'autres plus grands, mais rien que des morceaux, à peine un nu entier : souvent un morceau de bras, un morceau de jambe tels qu'ils se présentent, côte à côte, et tout près, le tronc qui leur revient. Ailleurs le torse d'une figure contre lequel se presse la tête d'une autre, le bras d'une troisième... comme si une tempête indicible, un cataclysme sans précédent s'étaient abattus sur cette œuvre. Pourtant, mieux on regarde, plus profondément on ressent que tout cela serait moins entier si chaque figure l'était. Chacun de ces débris possède une cohérence si exceptionnelle et si saisissante, chacun est si indubitable et demande si peu à être complété que l'on oublie que ce ne sont que des parties, et souvent des parties de corps différents, qui se rassemblent si passionnément ici. On devine soudain qu'envisager le corps comme un tout est plutôt l'affaire du savant, et celle de l'artiste, de créer à partir de ces éléments de nouvelles relations, de nouvelles unités, plus grandes, plus légitimes, plus éternelles... »
Rilke : Les mains de Rodin.
« L‘artiste est celui à qui il revient, à partir de nombreuses choses, d’en faire une seule et, à partir de la moindre partie d’une seule chose, de faire un monde. Il y a dans l’œuvre de Rodin des mains, de petites mains autonomes qui, sans faire partie d’aucun corps, sont vivantes.
Des mains qui se dressent, irritées et méchantes, des mains dont les cinq doigts hérissés paraissent aboyer comme les cinq gueules d’un chien des enfers. Des mains qui marchent, des mains qui dorment et des mains qui s’éveillent ; des mains criminelles, des mains à l’hérédité chargée, et d’autres qui sont fatiguées, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées dans un coin comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les secourir. Mais les mains sont déjà un organisme complexe, un delta où conflue quantité de vie venue de loin, pour se déverser dans le grand fleuve de l’action. Il y a une histoire des mains, elles ont effectivement leur civilisation à elles, leur beauté particulière ; on leur reconnaît le droit d’avoir une évolution propre, et leurs propres désirs, leurs sentiments, leurs lubies et leurs préférences. Or, Rodin, sachant par l’éducation qu’il s’est donnée que le corps n’est tout entier composé que des théâtres où se joue la vie — une vie capable à chaque endroit de devenir individuelle et grandiose – a le pouvoir de conférer à n’importe quelle portion de cette vaste surface vibrante l’autonomie et la plénitude d’un tout. De même que pour lui le corps humain n’est un tout que pour autant qu’une action commune (interne ou externe) mobilise tous ses membres et toutes ses énergies, de même, pour lui, les différentes parties de corps différents s’ordonnent aussi, inversement, en un seul organisme, lorsqu’elles sont jointes ensemble par une nécessité intrinsèque. Une main qui se pose sur l’épaule ou la cuisse d’autrui ne fait déjà plus tout à fait partie du corps dont elle est venue; avec l’objet qu’elle effleure ou empoigne, elle forme une nouvelle chose, une chose de plus, qui n’a pas de nom et n’appartient à personne; et c’est de cette chose, avec ses frontières bien déterminées, qu’il s’agit dorénavant. Cette découverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin ; c’est d’elle que résulte la façon inouïe dont les figures sont liées les unes aux autres, la cohésion des formes et leur manière de ne pas se lâcher, à aucun prix. Il ne part pas des figures qui s’enlacent, il n’a pas de modèles qu’il dispose et arrange. Il commence aux endroits où le contact est le plus fort, qui sont autant de sommets de l’œuvre ; il attaque à l’endroit où naît quelque chose de nouveau, et tout le savoir de son instrument, il le consacre aux mystérieuses manifestations qui accompagnent le devenir d’une chose nouvelle. Il travaille quasiment à la lueur des éclairs qui jaillissent en ces points et, de tout le corps, il ne voit que les parties qui en sont éclairées. Le charme du grand groupe, homme et jeune fille, intitulé le Baiser, réside dans la répartition sage et équitable de la vie ; on a le sentiment que, des surfaces en contact, des ondes partent là dans les corps tout entiers, des frissons de beauté, de pressentiment et d’énergie. De là vient qu’on croit voir la félicité de ce baiser partout sur ces corps; il est comme un soleil qui se lève, et sa lumière est répandue partout […] »  


Rodin : L'Art (Gsell) :
78 "Ce qui plaît surtout aux ignorants, c'est l'inexpressive minutie de l'exécution, et la fausse noblesse des gestes. Le vulgaire ne comprend rien à un résumé hardi qui passe rapidement sur les détails inutiles pour ne s'attacher qu'à la vérité de l'ensemble.(...) On admire les artistes forts en thème, qui calligraphient des contours dénués de signification."
136 : (art)  "Les formes qu'il crée ne doivent fournir à l'émotion qu'un prétexte à se développer indéfiniment"
141 "Si vivace, si profonde est la pensée des grands artistes qu'elle se montre en dehors de tout sujet. Elle n'a pas même besoin d'une figure entière pour s'exprimer. Prenez n'importe quel fragment de chef d'œuvre, vous y reconnaîtrez l'âme de l'auteur. Comparez si vous voulez des mains dans deux portraits brossés par le Titien et par Rembrandt. La main du Titien sera dominatrice ; celle de Rembrandt sera modeste et courageuse. Dans ces étroits morceaux de peinture tient tout l'idéal de ces maîtres."
189 Michel-Ange : "Toutes les statues qu'il fit sont d'une contrainte si angoissée qu'elles paraissent vouloir se rompre elles-mêmes. Toutes semblent près de céder à la pression trop forte du désespoir qui le habite. Quand Buonarotti fut devenu vieux, il lui arriva de les briser réellement. L'art ne le contentait plus, il voulait l'infini."
(in Cathédrales) : "Ce qu'il y a de plus beau qu'une belle chose, c'est la ruine d'une belle chose".
Rodin : « La notion du fini est aussi dangereuse que celle de l'élégance : toutes deux peuvent tuer un art. On obtient la solidité, la vie, par  le travail poussé non dans l'achèvement des détails, mais dans la justesse des plans successifs. »
Rodin à Hélène de Nostitz 10 oct 1905 : Maintenant j’ai fait une collection de dieux mutilés, en morceaux, quelques-uns, chefs d’oeuvres. Je passe du temps avec eux ils m’instruisent. J’aime ce langage d’il y a deux ou trois mille ans, plus près de la nature qu’aucun autre. Je crois les comprendre, je les visite continuellement, leur grandeur m’est douce, et il y a un rapport en eux avec tout ce que j’ai aimé. Ce sont des morceaux de Neptune, de femme déesses. Et tout ceci n’est pas mort, ils sont animés, et je les anime encore plus, je les complète facilement, en vision, et ce sont mes amis de la dernière heure."
Rodin sur la Vénus de Milo : "Mutilée, tu restes entière..."


Rosenberg (1994) : "Avec Fragonard, esquisse et tableau achevé se confondraient, la distinction entre première pensée, ébauche, composition définitive serait abolie. Le non-fini deviendrait œuvre d'art à part entière"


Rothko (1947) : "Un tableau vit par la compagnie d'un contemplateur sensible, dans la conscience duquel il s'épanouit et grandit"


Saint-Amant : Solitude :
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence!


Saint-Aubin :  Un fou de dessin au dix-huitième siècle, petit maître de l’eau-forte libre
L’Académie particulière gravée par Gabriel de Saint-Aubin combine plusieurs vertus : elle est due à un artiste rare, dont la pointe et le crayon n’ont cessé de noter l’esprit de son temps sur des planches de cuivre, des carnets de dessins, des feuilles volantes, des livrets de Salons ou des catalogues de ventes. Jean Adhémar (La Gravure originale au XVIIIe siècle, Paris, Somogy, 1963, p. 101) décrit l’infatigable artiste : " on le rencontre partout, dans toute occasion, le crayon à la main. Il dessine en tout temps et en tout lieu : les scènes de la rue, les spectacles qu’il voit autour de lui, les petits événements du jour, les nouveaux monuments. Pour vivre, il se spécialise dans des dessins sur les marges des catalogues de Salons et de ventes (qui alors ne sont pas illustrés), afin de conserver pour les amateurs le souvenir des tableaux. " Ses eaux-fortes témoignent d’une semblable curiosité pour tout ce qui l’entoure et d’un intérêt marqué pour les possibilités offertes par la taille-douce, exploitée à travers de nombreux états d’impression.
Dans l’Académie particulière, nul doute que Saint-Aubin ne s’est dessiné --- lui-même ou son double --- dans l’ombre du premier plan, assis par terre, tout au plaisir de dessiner, attentif et absorbé, ses yeux et sa main créant une sorte de " compas " esthétique très personnel capturant avec douceur le motif, ici le grand corps blanc féminin étendu sur un divan. Estampe " découverte " par la nudité du modèle mais nullement aguicheuse ou obscène, l’Académie particulière de Gabriel de Saint-Aubin donne à voir avec sobriété et un frémissement retenu l’émerveillement devant la beauté. Eau-forte originale du siècle des Lumières, sa fraîcheur ravissante ne manquera pas de séduire l’oeil contemporain, nous l’espérons. (Odile Faliu, Conservateur en chef, Bibliothèque nationale de France)


Saint-Victor (Paul de), 1860, cité Rosenberg, Fragonard, (Tout l’Œuvre peint) p. 6, col. 2 : « Fragonard est le poète de la peinture érotique : il échappe à l'indécence du genre par la rapidité de l'exécution. L'art doit courir sur ces charbons ardents ; une légère ivresse peut seule excuser les licences et les orgies du pinceau. L'esquisse est leur pudeur et leur idéal : l'indécence commence avec le fini. On excuse une fantaisie libertine spirituellement ébauchée : une gravelure blaireautée est impardonnable. C'est le puritas impuritatis* dont parle un ancien. Aussi je préfère de beaucoup les frottis galants de Fragonard à son célèbre tableau de L'Escarpolette. Ici, tout est accentué, noté, souligné... Il ne sied pas à un conte libre d'être si nettement écrit" (Bx-Arts 19 X 1860, n.p.).


Simmel (La Parure et autres essais) : « Le charme de la ruine consiste dans le fait qu’elle présente une œuvre humaine tout en produisant l’impression d’être une œuvre de nature. Ce qui a dressé l’édifice vers le haut, c’est la volonté humaine, ce qui lui a donné son aspect actuel, c’est la force mécanique de la nature. Tant que l‘on peut parler de ruines et non de monceaux de pierres, la nature ne permet pas que l’œuvre tombe à l‘état amorphe de matière brute. Une forme nouvelle est née qui, du point de vue de la nature, est absolument significative, compréhensible, différenciée. La nature a fait de l’œuvre d’art la matière de sa création, de même qu’auparavant l’art s’était servi de la nature comme de son matériau. C’est ce qui explique aussi que la ruine s’assimile au paysage environnant, s’y implante comme l’arbre ou la pierre, tandis que le palais, la villa, la demeure paysanne émanent toujours d’un autre ordre de choses et ne paraissent s’accorder qu’après coup à l’ordre de la nature. Un équilibre s’établit, où les puissances antagonistes de la nature et de la culture se réconcilient derrière notre passage, au moment où se défont les traces de l‘effort humain et où la sauvagerie regagne le terrain perdu. Pour qu’une ruine paraisse belle, il faut que sa destruction soit assez éloignée et qu’on en ait oublié les circonstances. On peut désormais l’imputer à une puissance anonyme, à une transcendance sans visage : l’Histoire, le Destin. Nul ne rêve calmement devant des ruines fraîches qui sentent le massacre. Et la colère déborde contre un destructeur qui porte un nom. Il faut que personne n’ait gardé l’image du bâtiment intact. Le sacrilège serait de vouloir dater ce qui doit être ressenti comme immémorial. »


Stael (Germaine de) 2-299 : Une réflexion nouvelle m'a frappée dans les écrits qui m'ont été communiqués par un homme dont l'imagination est pensive et profonde ; il compare ensemble les ruines de la nature, celles de l'art et celles de l'humanité. « Les premières, dit-il, sont philosophiques , les secondes poétiques, et les « dernières mystérieuses. » Une chose bien digne de remarque en effet, c'est l'action si différente des années sur la nature, sur les ouvrages du génie et sur les créatures vivantes. Le temps n'outrage que l'homme ; quand les rochers s'écroulent, quand les montagnes s'abîment dans les vallées, la terre change seulement de face, un aspect nouveau excite dans notre esprit de nouvelles pensées, et la force vivifiante subit une métamorphose, mais non un dépérissement ; les ruines des beaux-arts parlent à l'imagination, elle reconstruit ce que le temps a fait disparaître, et jamais peut-être un chef-d'œuvre dans tout son éclat n'a pu donner l'idée de la grandeur autant que les ruines mêmes de ce chef-d'œuvre. On se représente les monuments à demi détruits, revêtus de toutes les beautés qu'on suppose toujours à ce qu'on regrette : mais qu'il est loin d'en être ainsi des ravages de la vieillesse !


Starobinski : L'invention de la liberté p. 112-113 : « Prenons garde toutefois que, pour l'amateur du XVIIIe siècle, ces dessins qui nous paraissent des oeuvres accomplies avaient le charme de l'inachevé. Le dessin, pour eux, n'est jamais qu'une esquisse, c'est-à-dire une proposition en vue d'un accomplissement ultérieur. Le plaisir, c'était d'achever mentalement, dans une complicité imaginative, l'oeuvre que le dessinateur, renonçant à composer, laissait apparemment incomplète. Pour l'amateur, l'instant capturé par le dessin indique la virtualité d'une oeuvre en suspens. Et cette façon de mêler l'acuité de la notation à l'attente d'une perfection ajournée va séduire les artistes au point de les inciter à renoncer à l'indispensable achèvement. [...] Nous devons à ce "libertinage" une merveilleuse succession d'instantanés, où, sans nuire à la véracité anecdotique, une liberté quasi féerique vient alléger le monde à l'instant où il se transforme en image. Nous rencontrons déjà ce qui séduira tant Baudelaire dans les dessins de Constantin Guys : l'exaltation de la beauté de ce qui passe, un lyrisme de l'éphémère. »


Stendhal : Hist. de la peinture en Italie II, XXVIII) : « La magie des lointains, cette partie de la peinture qui attache les imaginations tendres, est peut-être la principale cause de sa supériorité sur la sculpture. Par là, elle se rapproche de la musique, elle engage l'imagination à finir ses tableaux. Son art [de Corrège] fut de peindre comme dans le lointain même les figures du premier plan. De vingt personnes qu’elles enchantent, il n’y en a peut-être même pas une qui les voie, et surtout qui s’en souvienne de la même manière. C’est de la musique, et ce n’est pas de la sculpture. On brûle d’en jouir plus distinctement, on voudrait les toucher »


Valéry, Poésie Perdue p. 174 (lever du jour) : "La forme demande peu à peu moins d'hypothèses"


Walser Robert : Promenades avec RW p. 130  (les deux châteaux) « .. ont été restaurés, ce qui lui paraît de fort mauvais goût : 'Voilà encore un témoignage de l'indigence de notre époque. Pourquoi ne pas laisser se détériorer et sombrer les choses su passé ? Les ruines ne sont-elles pas plus belles que ces bâtisses rapetassées ? Ces architectes épris d'histoire, qui s'appliquent à déterrer les trésors oubliés  et à rendre pieusement leur visage ancien aux constructions médiévales, feraient bien m

ieux de construire des choses nouvelles, personnelles, dont nous pourrions être fiers nous-mêmes."


Van Gogh : Lettre à Théo, 1885 (Rosenberg, Chardin p. 102) : « Je suis de plus en plus convaincu que les vrais peintres ne finissaient pas leurs tableaux, dans le sens qu'on a trop souvent donné au fini, c'est-à-dire si poussés qu'on puisse fourrer le nez dessus. Vu [sic] de tout près, les meilleurs tableaux, et justement les plus complets au point de vue technique, sont faits de touches de couleurs posées tout près l'une de l'autre. Ils ne font tout leur effet qu'à une certaine distance... A ce point de vue, Chardin est aussi grand que Rembrandt.. »


Yourcenar :  Le Temps, ce grand sculpteur, Paris, Gallimard, 1983, p. 61-66 :  Le jour où une statue est terminée, sa vie, en un sens, commence. La première étape est franchie, qui, par les soins du sculpteur, l’a menée du bloc à la forme humaine ; une seconde étape, au cours des siècles, à travers les alternatives d’adoration, d’admiration, d’amour, de mépris ou d’indifférence, par degrés successifs d’érosion et d’usure, la ramènera peu à peu à l’état minéral informe auquel l’avait soustrait son sculpteur. […] Ces durs objets façonnés à l’imitation des formes de la vie organique  ont subi, à leur manière, l’équivalent de la fatigue, du vieillissement, du malheur. Ils ont changé comme le temps nous change. […] La forme et le geste que leur avait imposés le sculpteur n’ont été pour elles qu’un bref épisode entre leur incalculable durée de roche au sein de la montagne, puis leur longue existence de pierre gisant au fond des eaux. Elles ont passé par cette décomposition sans agonie, cette perte sans mort, cette survie sans résurrection qui est celle de la matière livrée à ses propres lois ; elles ne nous appartiennent plus. »
Yourcenar : Le Temps, ce grand sculpteur p.13 : «Le grand prêtre Coif, type par excellence du renégat qui fait du zèle, galopa jusqu'au temple qu'il desservait et en brisa les idoles, privant ainsi les musées de l'avenir de quelques-unes de ses statues à peine ébauchées, où la pierre pour ainsi dire remonte à la surface et abolit la gauche forme humaine, comme si le dieu figuré de la sorte appartenait davantage au monde sacré du minéral qu'à l'humain. »
Yourcenar : Le Temps, ce grand sculpteur p.20 : « Je n'ai jamais rencontré une femme aussi belle que mes figures de pierre, une femme qui pût rester des heures immobile, sans parler, comme une chose nécessaire qui n'a pas besoin d'agir pour être, et vous fît oublier que le temps passe, puisqu'elle est toujours là. Une femme qui se laisse regarder sans sourire, ou sans rougir, parce qu'elle a compris que la beauté est quelque chose de grave. Les femmes de pierre sont plus chastes que les autres, et surtout plus fidèles, seulement, elles sont stériles. Il n'y a pas de fissure par où puisse s'introduire en elles le plaisir, la mort, ou le germe de l'enfant, et c'est pourquoi elles sont moins fragiles. Parfois, elles se brisent, et leur beauté tout entière reste contenue dans chaque fragment du marbre comme Dieu dans toutes les choses, mais rien d'étranger n'entre en elles pour faire éclater leur coeur. Les êtres imparfaits s'agitent, et s'accouplent pour se compléter, mais les choses purement belles sont solitaires comme la douleur de l'homme (...) Si j'avais un fils, il ne ressemblerait pas à l'image que je m'en serais formé, avant qu'il existât. Ainsi les statues que je fais sont différentes de celles que j'avais d'abord rêvées. Mais Dieu s'est réservé d'être consciemment créateur. »
Yourcenar : Le Temps, ce grand sculpteur p.26 « Vouloir immobiliser la vie, c'est la damnation du sculpteur. C'est en quoi, peut-être, toute mon oeuvre est contre nature. Le marbre, où nous croyons fixer une forme de la vie périssable, reprend à tout instant sa place dans la nature, par l'érosion, la patine, et les jeux de la lumière et de l'ombre sur des plans qui se crurent abstraits, mais ne sont cependant que la surface d'une pierre. Ainsi, l'éternelle mobilité de l'univers fait sans doute l'étonnement du Créateur. »

 

 

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