Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 16:31
Valéry : Paradoxe sur l'Architecte (1891) :
     « De subtiles analogies unissent l'irréelle et fugitive édification des sons à l'art solide par qui les formes imaginaires sont immobilisées au soleil dans le porphyre. Le héros, qu'il combine des octaves ou des perspectives, conçoit en dehors du monde. »

Valéry : Mélange 1- 339 :
     « Si une architecture, qui ne ressemble, quant à la vue, à rien de l'homme (...) te porte au bord des pleurs, cette effusion naissante que tu sens vouloir venir de ta profondeur incompréhensible, est d'un prix infini, car elle t'apprend que tu es sensible à des objets entièrement indifférents et inutiles à ta personne, à ton histoire, à tes intérêts, à toutes les affaires et circonstances qui te circonscrivent en tant que mortel. »
Valéry : Eupalinos :
     « Écoute, Phèdre (me disait-il encore), ce petit temple que j’ai bâti pour Hermès, à quelques pas d’ici, si tu savais ce qu’il est pour moi ! — Où le passant ne voit qu’une élégante chapelle, — c’est peu de chose : quatre colonnes, un style très simple, — j’ai mis le souvenir d’un clair jour de ma vie. O douce métamorphose ! Ce temple délicat, nul ne le sait, est l’image mathématique d’une fille de Corinthe, que j’ai heureusement aimée. Il en reproduit fidèlement les proportions particulières. Il vit pour moi ! Il me rend ce que je lui ai donné... — C’est donc pourquoi il est d’une grâce inexplicable, lui dis-je. On y sent bien la présence d’une personne, la première fleur d’une femme, l’harmonie d’un être charmant. Il éveille vaguement un souvenir qui ne peut pas arriver à son terme ; et ce commencement d’une image dont tu possèdes la perfection, ne laisse pas de poindre l’âme et de la confondre. »


Valéry : Les grenades (Charmes)

Dures grenades entr'ouvertes
Cédant à l'excès de vos grains,
Je crois voir des fronts souverains
Éclatés de leurs découvertesl

Si les soleils par vous subis,
O grenades entre bâillées,
Vous ont fait d'orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l'or sec de l'écorce
A la demande d'une force
Crève en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j'eus
De sa secrète architecture.

Valéry : Cantique des colonnes (Charmes) :

            à Léon-Paul Fargue

Douces colonnes, aux
Chapeaux garnis du jour,
Ornés de vrais oiseaux
Qui marchent sur le tour,

Douces colonnes, ô
L'orchestre de fuseaux !
Chacun immole son
Silence à l'unisson.

- Que portez-vous si haut,
Egales radieuses ?
- Au désir sans défaut
Nos grâces studieuses !

Nous chantons à la fois
Que nous portons les cieux !
O seule et sage voix
Qui chantent pour les yeux.!

Vois quels hymnes candides
Quelle sonorité
Nos éléments limpides
Tirent de la clarté !

Si froides et  dorées
Nous fûles de nos lits
Par le ciseau tirées
Pour devenir ces lys !

De nos lits de cristal
Nous fûmes éveillées,
Des griffes de métal
Nous ont appareillées

Pour affronter la lune
La lune et le soleil,
On nous polit chacune
Comme ongle d'orteil !

Servantes sans genoux
Sourires sans figures,
La belle devant nous
Se sent les jambes pures.

Pieusement pareilles,
Le nez sous le bandeau
Et nos riches oreilles
sourdes au blanc fardeau,

Le temple sur les yeux
Noirs pour l'éternité,
Nous allons sans les dieux
A la divinité !

Nos antiques jeunesses,
Chair mate et belles ombres,
Sont fières des finesses
Qui naissent par les nombres !

Filles des nombres d'or,
Fortes des lois du ciel,
 Sur nous tombe et s'endort
Un dieu couleur de miel,

Il dort content, le Jour,
Que chaque jour offrons
Sur la table d'amour
Etale sur nos fronts.


Incorruptibles sœurs,
Mi-brûlantes, mi-fraîches,
Nous prîmes pour danseurs
Brises et  feuilles sèches,

Et les siècles par dix,
Et les peuples passés.
C'est un profond jadis,
Jadis jamais assez !

Sous nos mêmes amours
Plus lourdes que le monde
Nous traversons les jours
Comme une pierre l'onde !

Nous marchons dans le temps
Et nos corps éclatants
Ont des pas ineffables
Qui marquent dans les fables...


Valéry : Eupalinos Pléiade t. 2 pp. 101-103
     SOCRATE Cette imagination me conduit très facilement à mettre d’un côté, la Musique et l’Architecture ; et de l’autre, les autres arts. Une peinture, cher Phèdre, ne couvre qu’une surface, comme un tableau ou un mur ; et là, elle feint des objets ou des personnages. La statuaire, mêmement, n’orne jamais qu’une portion de notre vue. Mais un temple, joint à ses abords, ou bien l’intérieur de ce temple, forme pour nous une sorte de grandeur complète dans laquelle nous vivons... Nous sommes, nous nous mouvons, nous vivons alors dans l’oeuvre de l’homme ! Il n’est de partie de cette triple étendue qui ne fut étudiée, et réfléchie. Nous y respirons en quelque manière la volonté et les préférences de quelqu’un. Nous sommes pris et maîtrisés dans les proportions qu’il a choisies. Nous ne pouvons lui échapper.
     PHÈDRE Sans doute.
    SOCRATE Mais ne vois-tu pas que la même chose nous arrive dans une autre circonstance ?
     PHÈDRE Quelle chose ?
    SOCRATE D’être dans une oeuvre de l’homme comme poissons dans l’onde, d’en être entièrement baignés, d’y vivre, et de lui appartenir ?
     PHÈDRE Je ne devine pas.
     SOCRATE Hé quoi ! tu n’as donc jamais éprouvé ceci, quand tu assistais à quelque fête solennelle, ou que tu prenais ta part d’un banquet, et que l’orchestre emplissait la salle de sons et de fantômes ? Ne te semblait-il pas que l’espace primitif était substitué par un espace intelligible et changeant ; ou plutôt, que le temps lui-même t’entourait de toutes parts ? Ne vivais-tu pas dans un édifice mobile, et sans cesse renouvelé, et reconstruit en lui-même ; tout consacré aux transformations d’une âme qui serait l’âme de l’étendue ? N’était-ce pas une plénitude changeante, analogue à une flamme continue, éclairant et réchauffant tout ton être par une incessante combustion de souvenirs, de pressentiments, de regrets et de présages, et d’une infinité d’émotions sans causes précises ? Et ces moments, et leurs ornements ; et ces danses sans danseuses, et ces statues sans corps et sans visage (mais pourtant si délicatement dessinées), ne te semblaient-ils pas t’environner, toi, esclave de la présence générale de la Musique ? Et cette production inépuisable de prestiges, n’étais-tu pas enfermé avec elle, et contraint de l’être, comme une pythie dans sa chambre de fumée ?
     PHÈDRE Oui, certainement. Et même j’ai observé que d’être dans cette enceinte et dans cet univers créé par les sons, ici ou là, c’était être hors de soi-même...[...]
     SOCRATE Il y a donc deux arts qui enferment l’homme dans l’homme ; ou, plutôt, qui enferment l’être dans son ouvrage, et l’âme dans ses actes et dans les productions de ses actes, comme notre corps d’autrefois était tout enfermé dans les créations de son oeil, et environné de vue. Par deux arts, il s’enveloppe de deux manières, de lois et de volontés intérieures, figurées dans une matière ou dans une autre, la pierre ou l’air.
    PHÈDRE Je vois bien que Musique et Architecture ont chacune avec nous cette profonde parenté.


Caillois : Babel § Décision par l'architecture :
     « Il ne suffit pas de s'abandonner à quelque délire pour qu'un édifice s'élève. L'architecture est, par excellence, l'art implacable. Ici, toute licence qui n'est pas compensée où il faut par un excès de rigueur qui l'équilibre exactement, entraîne une sanction immédiate et terrible : tout s'abat.
     Il m'arrive de me déclarer partisan d'une littérature édifiante. Je cours le danger que plusieurs s'imaginent alors que je parle en moraliste : je parle en maçon. La confusion toutefois ne me déplaît qu'à demi. Car je me représente volontiers la morale comme une sorte d'architecture. »


Wright : maison de la cascade
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f6/FallingwaterWright.jpg
http://www.arthistoryarchive.com/arthistory/glossary/images/Architects-01.jpg
Pour le plaisir, l'intérieur du Guggenheim de NY :
http://www.aeolia.net/lifeofmind/frank%20lloyd%20wright%20-%20guggenheim%20museum.jpg
... et l'extérieur :
http://www.shafe.co.uk/crystal/images/lshafe/Lloyd_Wright_Guggenheim_Museum_1955-59.jpg

diverses vues, vertigineusement belles :
http://images.google.fr/images?hl=fr&newwindow=1&safe=off&rls=ig&gbv=2&tbs=isch%3A1&sa=1&q=wright+guggenheim&aq=f&aqi=&aql=&oq=&gs_rfai=&start=0

et
architecture "moderniste" du XVIII° siècle :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Nicolas_Ledoux



Partager cet article
Repost0
Published by M. Philippon

  • : Le blog de M. Philippon
  • : Blog anciennement destiné aux étudiants de M.P.
  • Contact

Recherche

Pages

Catégories